Impression des Aït Bougmez
Lovée au cœur du Haut Atlas, la vallée des Aït Bougmez est un royaume dans le royaume. Ici, les maîtres des lieux sont berbères. Montagnards ou nomades, ils vivent au pied du l’ighil M’Goun, deuxième sommet (4071 m) du Maroc. De temps à autre, un randonneur oublié semble suggérer qu’un autre monde existe. C’est possible après tout. Impressions voyageuses.
Le voyage est dans le voyage
Pour atteindre les Aït Bougmez depuis Casablanca, il faut compter sept heures de route. Dans l’ensemble, la majeur partie des voyageurs passe par Marrakech, trajet plus court et plus logique… mais en partant de Casa, vous aurez l’occasion de croiser l’étonnant plateau du phosphate, au cœur du Maroc, une terre sèche et délaissée et des villes fantômes où chaque immeuble – ensemble carré, strict, rose tirant sur brun – semble avoir été cloné sur son voisin. Berchid, Khouribga, Souk Sebt, Afourer et Enfin, Azilal, porte d’entrée de l’Atlas. De là, ne reste plus qu’une heure et demie, jauge berbère, pour rejoindre la vallée enchantée. Aux oliviers s’ajoutent alors caroubiers, amandiers, tuyas. Passage d’un immense barrage. La route serpente, monte, escalade les montagnes sous le talon d’Ibrahim qui pousse le moteur. Et hop, nous voilà en apesanteur, 2 400 mètres et le bonheur des montagnes qui trônent et d’une vallée qui s’esquisse. Ouf…
Ballade dans la vallée de Tabant
Depuis Touda, un bus local nous amène à Tabant, poumon des Aït Bougmez, connu pour son école de guide et son marché dominical qui rassemble toute la vallée.
En face de Tabant, le petit village d’Aït Imi, accroché à la montagne, compte encore sept moulins à eaux que se partagent les familles pour moudre orge, blé ou maïs. Moulins à eaux ou moulins à paroles… : on dit que les gens d’ici sont beaux parleurs car Aït signifie « les gens de… » et Imi « la bouche ». Beaux parleurs ou poètes les « Gens de la bouche » ? Mais que la montagne est belle avec ses villages de terre accrochés à ses flancs.
Il y a de l’eau dans la vallée de Tabant. Les champs sont verts et les moulins tournent. Il y a de l’eau mais il y a bien longtemps, il y eut aussi une mer et des dinosaures, sauriens que l’on rejoint à travers champs sur le site d’Ibaqliwine, histoire d’admirer des traces millénaires laissés par des tridactyles (bipèdes à trois doigts). Aujourd’hui, le site est aussi l’aire de battage des villageois.
A côté de Tabant, un immense grenier domine toute la vallée des Aït Bougmez. Construit à l’origine pour stocker les céréales, il abrite les ossements de Sidi Moussa, marabout enterré sur place célèbre dans toute la vallée pour ses miracles, notamment auprès des femmes stériles à qui il aurait « donné » de nombreux enfants. Quant au grenier, il offre une vue exceptionnelle sur l’ensemble de la vallée.
Rencontres avec les artisans de la vallée voisine
Dans la vallée voisine des Aït Bowli, on longe un torrent, des noyers, un groupe d’enfants qui s’en va rejoindre l’école et marchent déjà depuis plusieurs kilomètres. Certains ont cours le matin, d’autres l’après midi, rarement la journée entière. Le trajet est long pour rejoindre le tableau noir. Vie rude de la vallée. On croise des femmes portant 50 à 60 kilos de millets sur le dos. On passe un gîte, quelques maisons. On finit par rejoindre le village d’Igelouane pour retrouver Brahim…
Brahim a sept enfants et trois petits enfants. C’est l’un des derniers potiers du village. Difficile de résister quand les poteries de la plaine pénètrent en masse les Aït Bougmez. Pourtant, loin des tajines produits à la chaine ripolinés de vernis (souvent cancérigènes), Brahim n’utilise que des matériaux naturels. En une journée, il peut réaliser jusqu’à vingt plats, des cruches, autant d’objets utilitaires qu’il revend ensuite sur les marchés de la vallée. Parfois, les gens du village viennent acheter chez lui. Il complète ainsi ses revenus. La roue tourne.
A Igelouane, on croise aussi des femmes aux visages tatoués, des filles tisserandes vives et enjouées, des enfants joueurs, des champs d’orge prêt à s’offrir au fléau. Le temps d’un azoul (« bonjour »), d’un clin d’œil, et de rejoindre Houssine, tourneur sur bois. Houssine réalise des plats en bois de noyer qu’il badigeonne ensuite d’huile d’olive ou d’arachide pour les protéger. Après un passage de huit à dix jours dans un sac plastique, ces derniers sont prêts à être vendus. Houssine est connu dans la vallée. Il ne travaille que sur commande. On ne le verra pas sur les marchés. En revanche, on ira dormir chez son frère, moment inoubliable de chaleur et d’accueil.
Petit instant volé sur le temps, les chemins buissonniers mènent parfois à de jolies rencontres. Au creux des champs, dominant la vallée, un groupe de femmes conversent le temps d’une pause. A nouveau, les tatouages forcent le regard, venant éclairer la beauté des visages, scander des liens tribaux et éloigner le mauvais sort.
Escapade chez les nomades
Au-dessus de Touda, à 2 500 mètres d’altitude, on rejoint la crête pour retrouver les nomades de l’Aït Atta. Sur le plateau, au milieu de chèvres, moutons et dromadaires, une famille vient d’arriver. Elle a posé sa tente, et restera là jusqu’au mois d’octobre. A côté de l’abri en pierre de fortune, une tente en laine de camélidé permet de protéger les bêtes, quelques 400 têtes de bétail, bien précieux d’une famille entière.
Plus loin, le lac Izourar est à sec. La terre est craquelée, reflétant l’immensité d’un plateau entouré de montagne. Un cavalier passe, fier nomade qui s’arrête un temps, partage une pipe avec Ahmed, et repart. Ci-va la vie dans les Aït Bougmez, fière, tranquille, au-delà du temps et de l’ailleurs.
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Par Geneviève Clastres
Auteur et journaliste indépendante spécialisée sur le tourisme durable et le monde chinois, Geneviève Clastres est également interprète et représentante de l'artiste chinois Li Kunwu. Collaborations régulières : Radio France, Voyageons-Autrement.com, Monde Diplomatique, Guide vert Michelin, TV5Monde, etc. Dernier ouvrage "Dix ans de tourisme durable". Conférences et cours réguliers sur le tourisme durable pour de nombreuses universités et écoles.
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